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8 juin 2010 2 08 /06 /juin /2010 14:04

La mise en place d’actions de « démocratie participative » dans les collectivités se traduit souvent par la création d’institutions permanentes (conseils de quartier, de développement, etc.) dont la conception et le fonctionnement sont de plus en plus attentivement étudiées, comme l’illustre la floraison de chartes de la participation locale.

Mais le véritable enjeu des procédures de participation ne porte-t-il pas sur le fonctionnement interne de l’administration locale ? Bien souvent, les problèmes et déceptions nés de l’usage des nouveaux dispositifs de participation concernent moins l’écoute des habitants par les élus que les réponses concrètes apportés aux demandes des citoyens. La faute aux agents territoriaux ? Ceux-ci mériteraient pourtant d’être consultés autant que les habitants : souvent, le principal facteur de rejet de la « démocratie participative » par les professionnels techniques vient de leur sentiment d’avoir été laissés de côté dans la mise en place de cette action, dont ils constituent pourtant un maillon essentiel. En effet, la participation bouscule l’administration : cela est parfois un objectif assumé des municipalités, mais cela ne veut pas pour autant dire que les difficultés rencontrées par les agents doivent être niées. Pour les directeurs généraux des services et leurs adjoints, conserver la maîtrise du fonctionnement administratif face aux défis posés par la participation est un ainsi véritable enjeu.

Voici donc un petit tour d’horizon des principales modifications que la participation apporte à la conduite de l’action publique locale. Chaque thème sera abordé dans un billet particulier, basé sur des expériences vécues et suffisamment :

- la participation modifie le métier des agents territoriaux, leur travail individuel ;
- la participation influence les modes de travail collectif des agents et des services ;
- la participation atténue les frontières entre ses acteurs et complexifie le positionnement des agents ;

 

1°) L’influence de la participation sur les métiers territoriaux

En première ligne pour répondre aux doléances des habitants se trouvent les services techniques. La notion de « proximité » chère à la démocratie participative à la française se traduit généralement par des demandes très concrètes, voire triviales : poser ou ôter un ralentisseur ici, implanter un jeu pour enfants là, accroître le passage des balayeuses dans telle rue, etc. Certaines villes tentent de résoudre ces demandes par une territorialisation accrue de leurs services. Un responsable me confiait ainsi il y a quelques années considérer ses coordonnateurs de conseils de quartiers comme « des petits DGA de quartier ». Mais pour la majeure partie des administrations, cet afflux de demandes se traite à moyens et à organisation constants. De quoi nourrir en réunion publique le cliché sur la lenteur de l’administration, les élus se trouvant pris en porte-à-faux entre des demandes pressantes des citoyens sur des questions a priori simples et une difficulté à répondre de la part des services techniques. Pourtant, ne peut guère incriminer la mauvaise volonté de ceux-ci, tant la tâche leur est rendue insoluble par plusieurs facteurs :

- l’extension des moyens de participation des habitants accroît la demande portée aux services municipaux, qui gardent en parallèle leurs missions de base ; or, ces missions restent – à juste titre – prioritaires dans leur charge de travail, d’où un manque réel de disponibilité pour traiter des questions certes peu complexes, mais très nombreuses, désordonnées, et ne comportant aucune indication de priorité ;

- certaines questions ne sont simples qu’en apparence : en matière de circulation notamment, résoudre un problème dans une rue a systématiquement des répercussions sur les voies environnantes, les reports de circulation pouvant générer des troubles et des plaintes supérieures au problème initialement évoqué par quelques citoyens ;

- de même, on entend de manière récurrente la plainte : « on ne vous demande pourtant pas de réaliser l’aménagement, mais juste de répondre si oui ou non cela est possible » ; certes, mais souvent le simple fait de répondre à une question nécessite un travail d’étude considérable, qui doit là encore s’insérer dans une charge de travail déjà dense.

Aux côtés de ces contraintes quantitatives, rarement prises en compte par les participants aux conseils de quartiers, il faut également prendre conscience du fait que la participation apporte des changements substantiels à l’essence même de certains métiers territoriaux, notamment dans le secteur technique. En effet, les techniciens et ingénieurs territoriaux ne sont plus seulement appelés à concevoir des projets, mais également à devoir les expliquer, voire à en prendre eux-mêmes en charge la concertation. Si les jeunes générations ont pu acquérir au moins des notions de bases dans ce domaine au cours de leur formation, est-il réellement possible d’exiger d’un directeur de la voirie qu’il soit, en plus de son domaine, expert en communication et concertation ? Les discussions avec les professionnels de ce secteur laissent apparaître non un rejet du dialogue avec les habitants, dont ils reconnaissent souvent les vertus, mais bien un besoin d’une part d’appui technique à la communication (écrite, graphique et en réunion), d’autre part d’une animation de réunion qui réaffirme clairement leur rôle.

Beaucoup partagent ainsi le sentiment d’être systématiquement remis en cause dans leurs compétences professionnelles par les habitants. Si ces derniers restent dans leur rôle en faisant état de problèmes de vitesse ou de stationnement, ne tendent-ils pas à « se prendre pour des ingénieurs » s’ils commencent à juger de la pertinence d’un rond-point par rapport à un feu rouge. Ce problème se pose d’autant plus que certains élus animent volontairement des groupes de travail en dehors de tout cadrage budgétaires, réglementaire ou technique, « pour ne pas brider l’expression citoyenne ». Certes, mais comment alors exiger des techniciens un partage sans nuance de l’idéal participatif si celui-ci consiste toujours à leur faire passer un temps fou à revoir des projets d’habitants sans aucune pertinence technique, jouant ainsi le rôle peu envié de « grand méchant technocrate » ? Quand, en outre, la « démocratie participative » certifiée ne parvient pas à de meilleurs résultats que des modes de dialogues que les services techniques utilisaient déjà avec la population, on comprend d’autant plus aisément l’émergence d’attitudes de rejet.

A noter enfin ce qui pourrait passer pour un détail mais s’avère pourtant significatif en matière de ressources humaines : la participation publique appelle une intervention croissante des agents territoriaux dans les discussions publiques. Outre la nouvelle approche du devoir de réserve que cela entraîne (ce sera développé dans les billets ultérieurs), cela nécessite très trivialement d’inclure ces heures de réunion en soirée ou le week-end aux fiches de poste des agents, avec tout ce que cela implique en matière de gestion du temps de travail.

 

2°) Un tiers comme appui technique et comme médiateur des discussions

De semblables dysfonctionnements réaffirment l’évidence selon laquelle la réussite d’une politique participative se joue avant tout en interne. Souvent oubliés des consultations préalables à l’établissement de dispositifs participatifs (parfois volontairement comme on peut l’entendre dans certains cabinets municipaux : « la participation nous sert à bousculer l’administration »), les fonctionnaires territoriaux méritent un réel effort d’écoute et de dialogue, de la part des élus mais aussi des agents chargés du suivi des conseils de quartier ou autres outils participatifs.

Certes, dans certaines cultures administratives, il existe un réel et absolu rejet de toute ingérence des citoyens dans la conduite de l’action publique.  Mais quand bien même ce rejet existe, il est difficile de le surmonter en force, d’autant que certains ressentiments sont quant à eux tout à fait légitimes. Il est tout à fait intéressant de mettre en place un temps de parole des agents, d’abord en l’absence des élus, pour que ceux-ci expriment leur perception de la participation sans crainte des jugements de valeur. Ainsi, ce temps de parole permettra d’exprimer tous les ressentiments ou les jugements émotifs qui, s’ils demeuraient sous-jacents et « honteux », gêneraient considérablement la recherche ultérieure d’améliorations.

Dans une dimension plus technique, l’apport d’un intervenant extérieur consistera en la définition des nouvelles tâches demandées aux agents par la participation publique (par exemple réaliser un PowerPoint, présenter un projet à l’oral, et plus généralement communiquer sur des sujets techniques dans un langage accessible à tous), et de vérifier l’existence des compétences correspondantes. Si ces compétences sont présentes, il s’agira d’étudier la définition des rôles de chaque intervenant dans le processus de participation, mais si ce n’est pas le cas la question des moyens commencera à se poser, qu’il s’agisse d’actions modestes (formations des agents) ou plus lourdes (redéfinitions voire créations de postes, par exemple de « correspondant de quartier des services techniques »).

Cette question de moyens est forcément posée aussi par l’accroissement de la charge de travail née de la participation. Néanmoins, une adaptation des procédures de discussion publique peut considérablement alléger cette charge à peu de frais (si ce n’est la perte d’une illusion selon laquelle toute question pourrait trouver une réponse immédiate). Après l’étude des modalités de fonctionnement des conseils de quartiers ou autres dispositifs, l’intervenant pourra ainsi apporter des propositions parmi les suivantes :

- meilleure connaissance du fonctionnement administratif : par des visites de services, des vidéos ou des réunions de présentation du métier des agents municipaux, les citoyens pourront mieux appréhender le travail quotidien de leurs interlocuteurs ;

- apprendre aux participants à hiérarchiser leurs questions : les demandes ne doivent plus arriver pêle-mêle aux services ; un travail de classification permet de mieux estimer les attentes en matière de délai de réponse, d’où l’intérêt pour les citoyens d’être formés à la distinction des différents types d’enjeux :

  • les questions immédiates : celles pour lesquelles une intervention rapide ne peut pas être contestée : éclairage défectueux, espace vert endommagé, etc.
  • les questions simples mais devant être inscrites dans un programme annuel de travaux : la réfection d’un trottoir, nouveau marquage au sol, implantation de bancs ;
  • les questions nécessitant étude et/ou arbitrage : modification de plan de circulation ou de stationnement, création d’un espace vert, nouveau projet urbain : suivant leur ampleur, ces questions nécessiteront un mode de concertation dépassant le conseil de quartier.

- traitement spécifique des questions immédiates : ce type de questions n’a pas sa place en réunion : il n’est pas nécessaire d’attendre le jour de la réunion et d’occuper du temps de parole public pour la soumettre ; il peut ainsi être intéressant d’adapter la plate-forme interne de traitement des demandes d’intervention pour que puisse rapidement et facilement être incorporées les demandes issues des dispositifs participatifs ; parfois les conseils de quartiers disposent de procédures de traitement horriblement complexes et lourdes, qui pourraient être délaissées au bénéfices d’outils existants plus réactifs ;

- attribution d’un temps de travail défini pour le traitement des questions des habitants par les services : les conseils de quartiers disposent souvent d’un budget financier, pourquoi ne pas envisager (en complément ou même en remplacement partiel ou total) l’attribution d’un « crédit d’heures de travail » ? Cela garantirait le traitement de leurs demandes, avec en contrepartie un effort de définition des priorités ; la question des heures de présence des agents en réunion publique y trouverait également un moyen de résolution.

Outre les améliorations de procédures et les actions d’amélioration, l’intervenant extérieur portera également son effort sur l’animation des réunions, en faisant partager un cadre de discussions auxquels les participants seront sans cesse invités à se référer. Sans parler des techniques d’animation de réunion, ce cadre mettra l’accent sur tout ou partie des aspects suivants :

- production collective et hiérarchisation : la réunion ne doit pas être un agrégat de revendications individuelles ou en tout cas très retreintes ; lorsqu’elle ressemble à une « liste de courses », le moment est venu de rassembler les  participants autour de la question « qu’est-ce qui dans cette liste vous semble prioritaire / urgent pour le quartier ? » ; les résultats seront encore meilleurs s’il est possible d’inscrire cette réflexion dans un cadre clairement défini en termes de limite de moyens et de temps disponibles ;

- définition des rôles : l’animateur veillera à ce que les participants soient reconnus dans leur rôle et n’empiètent pas sur le rôle des autres intervenants, et notamment à ce que les citoyens ne tendent pas trop à « faire le travail des agents » ; tout est cependant affaire de nuances dans l’établissement de cette frontière : il n’est pas question pour les professionnels d’opposer la complexité technique d’une question pour s’abstenir de répondre ;

- prise en compte des non-participants : il est impératif d’anticiper les répercussions qu’une solution trouvée en réunion peut avoir sur les habitants qui n’y étaient pas présents ; le cas échéant, il faut s’assurer que toutes les personnes concernées ont pu avoir leur mot à dire, quitte à reconfigurer les modalités de concertation sur ce sujet.

 

Dans tous les cas, l’amélioration des procédures participatives passe par une meilleure reconnaissance mutuelle des intervenants : réaffirmer le rôle d’expert du professionnel territorial est un préalable à une meilleure reconnaissance de sa part des apports et des exigences de la participation. Réciproquement, donner au citoyen la pleine maîtrise des enjeux d’une discussion, y compris en lui offrant un état transparent du contexte et de ses contraintes, rend sa contribution bien plus concrète et enrichissante. Troisième acteur de ce jeu, l’élu local a tout à gagner à ce que sa politique de participation gagne ainsi en cohérence et en efficacité.

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